Les Mondes de P-Val: janvier 2011

lundi 24 janvier 2011

Le Monde voulu de Martin Berasategui (4/4)

Déployer les passerelles


Une première passerelle pour Martin Berasategui est sans doute son esprit entrepreneur qui le conduit à moins de 20 ans à demander un prêt bancaire pour ouvrir son premier restaurant, Bodegon Alejandro.
Il a besoin d’une caution bancaire. Tous les interlocuteurs le renvoient sur son père ou sa mère. Avec pudeur, il répond : « Je ne veux pas les déranger. » Un berger d’Igueldo, Eusebio, qui lui livre des salades, des fromages, des tomates, lui demande ce qui ne va pas, découvre le problème et se porte aussitôt caution. La carrière est lancée, elle ne s’arrêtera pas. Martin Berasategui a retenu la leçon et il contribue activement à l’émergence de nouveaux talents comme au Mugaritz. Il a ouvert de nombreux restaurants qu’il a ensuite transmis à de jeunes chefs pour qu’ils volent de leurs propres ailes : « Mais qui va réussir dans ce pays, si personne ne te donne un coup de main. »

Une autre passerelle est l’importance de l’équipe.
Celle de son restaurant, dont il présente avec fierté les femmes et les hommes clés, mais aussi celle des paysans, bouchers, ramasseurs de champignons. Il les traite comme sa propre équipe : « Il faut soigner le producteur. » Il s’assure ainsi d’avoir toujours les meilleures matières premières. Pour lui, l’équipe est une légion d’enthousiastes, guidés par un objectif bien défini : « mettre le convive KO de pure jouissance, ordre et action ».

Enfin, la passerelle banc d’essai.
Ce banc est une véritable passerelle qui organise le processus de création, la R&D de Martin. Si comme dans tous les grands restaurants le quatuor entrée, poisson, plat, dessert est respecté, Martin ajoute le banc d’essai qui est son laboratoire et qui lui permet d’expérimenter chaque jour, depuis trente-cinq ans. Il y apporte un sérieux, une discipline et une rigueur impressionnante. Derrière le moindre détail de chaque nouvelle recette formalisée, un travail énorme est parti à la poubelle. Chaque réussite concrétise une étude, un investissement personnel et le travail de toute une équipe.


À travers cette illustration des chefs cuisiniers comme créateurs de monde, nous avons voulu montrer que chaque métier, chaque personne dans ses activités, professionnelles ou non, a la possibilité de tirer parti de son environnement et de construire un monde, son monde.
Nous considérons que ce Monde voulu devient une réussite si et seulement si d’autres personnes veulent le rejoindre, y entrer. Pour cela, il faut penser et agir : concevoir et déployer des passerelles efficaces, durables.

Pour finir le mieux est sans doute pour celui qui passe par San Sebastain de s'arreter chez Martin !

Laurent Dugas

Départ de Steve Jobs d’Apple, arrivée de Larry Page chez Google, déficit de leadership ?

Steve Jobs vient d’annoncer son départ d’Apple pour se soigner et le cours de bourse d’Apple dégringole, Larry Page, le fondateur de Google annonce son retour comme CEO et ses salariés déclarent qu’enfin Google va retrouver son esprit entrepreneurial.

Les réactions sur ces mouvements sont-elles une preuve de succès ou un aveu d’échec des capacités d’Apple et de Google à créer en interne un Monde pérenne ?

En première analyse, j’aurai tendance à répondre « échec ». Quand leurs fondateurs ne sont plus présents dans l’entreprise elles ont du mal à faire perdurer leur modèle de réussite. Autrement dit, ni Steve Jobs ni Larry Page n’ont réussi à créer un Monde durable pour leur firme. Quand le leader-créateur de Monde s’en va, le Monde s’écroule, quand il revient le Monde réapparait.
Cette analyse est d’autant plus vraie pour Apple dont on dit que son fondateur s’occupe de tout, contrôle tout, imagine tout. Cela laisse entendre que personne d’autre que lui ne porte le Monde Apple et que Steve Jobs n’a su créer aucun leader-passeur, tout juste des exécutants. Pour ceux qui ont lu les livres de Jim Collins - en particulier From Good to Great (De la performance à l’excellence) et How the Mighty Fall (Ces géants qui s’effondrent) – Steve Jobs n’est pas un leader level-5, son entreprise n’existe qu’à travers lui.
L’analyse du retour de Larry Page à la tête de l’entreprise qu’il a créée est plus subtile. D’abord, quand il avait nommé Éric Schmidt pour le remplacer il y a quelques années, son but était « d’encadrer l’entreprise par un adulte » autrement dit de transformer le Monde historique de Google en un Monde plus business pour piloter la croissance et transformer les idées en revenus. Et sur ce plan Éric Schmidt a parfaitement réussi. Meilleure preuve, les résultats 2010 sont encore en hausse de 30%. Aujourd'hui, le retour de Larry Page peut être interprété positivement comme la nécessité pour Google de rechanger de Monde sous la pression des nouveaux entrants sur le marché et en particulier les réseaux sociaux type Facebook. Et pour réussir ce changement il faut changer de leader. La question reste posée de savoir si Larry Page est le meilleur leader pour réussir une nouvelle mutation de Google ? est-ce un Monde start-up qu’il faut recréer ou autre chose encore ?
Pour conclure, j’ai bien conscience de l’outrecuidance de poser ces questions sur la réussite de Steve Jobs et de Larry Page. Leurs entreprises sont de formidables succès … mais comme l’écrit Jim Collins « ces géants qui s’effondrent » …

Bruno Jourdan


vendredi 21 janvier 2011

Le maréchal Foch à cheval … tête nu !

Si vous êtes parisien, sans doute avez-vous remarqué au milieu de la place du Trocadéro la statue équestre du maréchal Foch - maréchal de France, de Grande Bretagne et de Pologne. Mais avez-vous noté que le maréchal Foch est représenté tête nue.

C’est ma grand-mère qui me l’avait fait remarquer en m’apprenant qu’il était totalement contraire à l’étiquette qu’un militaire monte ainsi tête nue. Impossible, inimaginable, jamais fait, presque passible du conseil de guerre.

Quel rapport avec les Mondes me direz-vous ?
Je ne vous dirai pas à quel Monde appartenait ma grand-mère mais sa remarque est clairement du ressort du Monde domestique, celui qui en particulier est attaché aux bonnes manières. Il faut dire qu’elle se sentait un peu détentrice de la mémoire de ce grand militaire car elle avait eu la chance de participer en 1919 au défilé fêtant la victoire de la guerre 14-18 dans la voiture de Georges Clemenceau.
Mais alors, pourquoi les militaires, très domestiques eux aussi avaient laissé passer cette statue. C’est mon père qui m’a donné le fin mot de l’histoire : avec un képi, Foch ressemblait trop à Pétain … et la statue a été érigée en 1951.
Cette statue est donc bien une histoire de Monde : accepter que le maréchal Foch soit tête nue est un petit arrangement passé entre les militaires (Foch aura sa statue) et l’opinion (tout ce qui rappelle Vichy est à bannir).
Les petits arrangements sont justement ce que nous cherchons à éviter quand nous aidons nos clients à changer de Monde, ils ne sont guère pérennes ; mieux vaut une bonne passerelle, bien solide et pourtant légère à mettre en place.

Bruno Jourdan

jeudi 20 janvier 2011

Le Monde voulu de Martin Berasategui (3/4)

Concevoir un Monde voulu


C’est sûrement ce qui différencie un chef d’un grand chef. Le grand chef parvient à construire un style reconnaissable, une expression personnelle qui rencontrent une clientèle et qui sont reconnus par les critiques et les pairs. Il crée un monde à lui. Il est difficile de caractériser par des mots ce qui est par définition physique.

Laissons parler Martin Berasategui : « La bonne cuisine, celle qui s’écrit en majuscules, n’est la propriété de personne : elle appartient à tous ceux qui travaillent derrière les fourneaux depuis la nuit des temps… »
Ses créations audacieuses marient bonbons de fromage à l’huile Carabaña, endives, jus d’oignon rouge et joue de porc, ou pigeon d’Araiz rôti, pâtes fraîches aux champignons, petits oignons et touches de crème truffée.

Le monde de Martin, c’est aussi un monde d’humilité, où la reconnaissance vient de celui qui déjeune dans son restaurant plus que des critiques ou des pairs. C’est une grandeur qui naît du doute permanent : « Plus on avance et plus on marche à l’aveuglette, sans réponse. » C’est améliorer chaque plat pour le repas suivant.

Dans l’interaction collective, c’est la foi dans le travail d’équipe qu’il prend au pied de la définition : un groupe de personnes organisées en vue d’une recherche et d’un service donné

mardi 18 janvier 2011

Le romancier français et le romancier américain appartiennent-ils au même Monde ?

Les Mondes, il suffit de s’entraîner un peu pour découvrir que cette grille permet de comprendre beaucoup de situations et de comportements d’entreprises ou d’individus puis d’imaginer un plan d’actions.



Dernière en date de mes observations. Une éditrice d’une grande maison d’édition française m’a expliqué la différence fondamentale de Monde entre les romanciers français et les romanciers américains. Beaucoup de romanciers français dit-elle pensent que leur écriture est le résultat d’une forme de jaillissement, d’inspiration, de premier jet. A-contrario, le romancier américain considère que son premier jet est une base, que le travail commence après et que ce travail va être long.
Cette éditrice me donna plusieurs preuves de son analyse. Première preuve : les remerciements à la fin des livres. Le romancier français remercie sa femme, l’américain remercie vingt personnes, tous ceux qui ont contribué au travail de relecture et de réécriture. Deuxième preuve, les ateliers d’écriture dans lesquels s’inscrivent les auteurs. Rares en France, très nombreux aux États-Unis.
Et alors quelle différence sur le résultat final ? La réponse de l’éditrice est claire : beaucoup de premiers jets de romans français n’aboutissent pas … tout simplement parce qu’ils ne sont pas assez bons pour être publiés. Chez P-VAL nous dirions que la volonté du romancier américain de se synchroniser avec le Monde de ses clients est - en moyenne - plus forte que celle du romancier français.

Dernière remarque de cette éditrice : ce sont les romanciers les meilleurs et déjà reconnus qui acceptent le plus de retravailler leur premier jet. Question à vous lecteurs, que feriez-vous pour aider le romancier français à changer de Monde ?

Bruno Jourdan

le Monde de Martin Berasategui (2/4)

Décrypter le Monde actuel


Pour un chef, décrypter le Monde actuel signifie sans doute parvenir à une compréhension fine des fondations de son métier. Cela, afin de pouvoir s’en détacher ensuite. Martin Berasategui a la cuisine dans le sang depuis l’enfance, il a commencé à cuisiner à 14 ans avec sa mère et sa tante au cœur du vieux San Sebastian. Au cours de ses années de formation, il a acquis la rigueur requise pour obtenir des résultats en cuisine. Pour lui, plus que toute technique ou talent, rien n’est plus important que la discipline de travail. Il a aussi appris l’importance d’une bonne matière première et celle de créer une relation de proximité avec les éleveurs, maraîchers et poissonniers. C’est sur ces bases qu’un grand chef construit sa technicité et sa sensibilité.

vendredi 14 janvier 2011

l'école peut-elle s'approprier une culture du Monde de l'entreprise ?


Les grands chefs Cusiniers sont-ils les créateurs d’un monde auquel nous voulons appartenir ? (1/4)



« Un poivron, deux oignons, un jet d’huile et au feu… remuez… en faisant bien attention à ce que cela n’attache pas au fond ; ne soyez pas impatient et attendez un peu, cet endroit est comme les bons plats, il faut le savourer sans laisser de miettes, de la première à la dernière bouchée, et celle-là, c’est la première. Bon appétit ! »

C’est avec ces mots que Martin Berasategui accueille ses clients dans son restaurant de Lasarte au Pays basque espagnol. Chef trois étoiles Michelin depuis plus de sept ans, Martin est le deuxième cuisinier espagnol derrière le mondialement connu Adria Ferran, El Bulli, pape de la cuisine moléculaire

Comment interpréter la carrière d’un grand chef cuisinier à la lumière des mondes ? Qu’est-ce qui permet de dire que tel ou tel chef est un créateur de monde ou pas ?

Après une première série de messages dans ce blog qui vous faisait découvrir les Mondes de plusieurs chefs cusisiniers, j'ai choisi de zoomer sur Martin que j'ai pu rencontrer et dont j'ai apprécié le talent à plusieurs occasions.
Nous allons découvrir ensemble si Martin est un créateur de Monde à travers trois messages :

a) capacité à décrypter le Monde actuel
b) capacité à concevoir un Monde voulu
c) capacité à déployer les Passerelles

Rendez-vous Lundi prochain. je vous laisse saliver !

Laurent Dugas

jeudi 13 janvier 2011

Top-managers, n’oubliez pas d’entendre les conflits entre votre stratégie et le Monde de vos équipes

Histoire vécue cette semaine. Je démarre un projet avec un nouveau client qui m’invite à son kick-off commercial annuel réunissant tous ses commerciaux, avant-ventes et experts. Cette entreprise est une formidable réussite dans un domaine informatique pointu, nouveau et porteur.

Au milieu de la matinée, un patron de Business Unit fait la phrase suivante en parlant d’une nouvelle offre très innovante « vendons-la d’abord, on verra ensuite dans le détail comment réaliser les projets que nous aurons vendus ». En entendant cette déclaration, un des experts se lève et explique son désaccord « nous ne saurons pas facturer proprement cette nouvelle offre fondée sur un nouveau business modèle ». Le patron de BU a répondu « on verra à ce moment là » et a poursuivi son intervention.

Traduction Monde :
Ce patron de BU est dans un Monde dans lequel vendre est le début normal de la mise sur le marché d’une nouvelle offre. Dans son prisme, si pour lancer une nouvelle offre, il fallait attendre que les équipes du delivery passe les trois-années-homme nécessaires pour mettre en place tous les process de détail, aucune offre ne serait jamais lancée ; le premier client sera l’occasion de faire le travail de détail.
L’expert, lui, est dans un Monde industriel : il est impensable de vendre une solution sans que les process de delivery aient été conçus, testés, mis en place … et tant pis s’il faut y consacrer trois-années-homme avant d’envisager la première vente.

Analyse : le sujet ici n’est pas de savoir qui du manager ou de l’expert a raison mais de constater que ce manager n’a probablement pas compris que cet expert refusera d’aider les équipes commerciales à vendre cette offre en l’absence d’industrialisation préalable parce qu’il n’aura pas confiance. Le manager ne l’a pas compris, et surtout il ne l’a pas entendu, le Monde de l’expert est trop éloigné du sien.

Le conseil de P-VAL est donc toujours le même : quand vous lancez une nouvelle stratégie, une nouvelle offre, une nouvelle idée, prenez le temps nécessaire pour comprendre en quoi le Monde de vos équipes est cohérent ou orthogonal par rapport à votre stratégie … et si vous ne savez pas le faire, faites appel à nos excellents consultants.

Bruno Jourdan

lundi 3 janvier 2011

Leader-créateur ? Leader-passeur ? Pontifex Maximus ?

Si vous avez déjà eu la chance d’aller à Rome, vous avez sûrement été frappé par une expression gravée à peu près systématiquement à coté de toutes les représentations des empereurs romains et des papes : Pontifex Maximus. Ils sont donc tous des Pontifex – en français, des pontifes … et quitte à être pontife, autant être grand pontife.

Et bien après recherche, j’ai découvert que Pontife est l'étymologie de leader-passeur. Pontifex en latin signifie « celui qui fait le pont ». Historiquement, cela se rapportait à l'entretien des ponts, le Tibre étant un fleuve sacré dans la Rome antique et il fallait une autorité particulière pour en modifier le cours ; cependant, un pont est aussi "ce qui relie", qui a donné "religio" - religion en français.

Le Pontifex a donc symboliquement un double rôle, il est le passeur entre le Monde actuel (barbare / païen) et le Monde voulu (romain / chrétien) et aussi celui qui établit le lien entre Dieu (ou les dieux à Rome) et les hommes - chez P-VAL nous dirions entre le Monde voulu et le client.

Pour les empereurs romains et les papes, la charge de pontife est exercée à vie. Lecteurs, je vous vois rêver en vous imaginant Leader-à-vie. Mais ne l’oublions pas, il n’y a pas de leader sans suiveurs ; les pontifes de l’empire romain et de l’église catholique ont su créer un Monde voulu, mais surtout ils ont su donner envie à beaucoup de gens d’y appartenir.

Bruno Jourdan