Les Mondes de P-Val: octobre 2013

vendredi 25 octobre 2013

Dans les musées, la grandeur ce sont les contenus, pas le public… Loin d’être anecdotique, cette grandeur est très bloquante pour beaucoup d’institutions culturelles



J’ai eu la chance de rencontrer le directeur d’une grande institution culturelle française qui accueille quelques millions de visiteurs par an. Nous avons discuté fidélisation des visiteurs et développement de leurs contributions financières.
C’est un thème sur lequel les musées français ne sont pas très efficaces, et nous en avons trouvé ensemble la raison :                                                                                                                                                                                 

Dans le Monde de beaucoup de musées, la grandeur ce sont les contenus, pas le public.

Grandeur des contenus, cela signifie la qualité des œuvres, l’exigence des expositions temporaires, la multiplicité des échanges avec d’autres grands musées mondiaux, la réputation des conservateurs et des commissaires d’exposition.

Et alors ?
Et alors, cette grandeur risque de s’avérer très bloquante pour le développement de beaucoup d’institutions culturelles. 

Pourquoi ?

1. Face à la baisse structurelle des financements de l’Etat et des collectivités, les institutions culturelles ont stratégiquement besoin de développer les contributions financières de leurs visiteurs – des nouvelles formes de mécénats individuels. 
  
2. Mais cette stratégie de financement par les publics a peu de chance d’être acceptée et mise en œuvre 
  • Avec cette grandeur des contenus… le public n’est qu'une partie prenante, pas un partenaire. Il est subi, toléré. Il n’est présent que sous forme d'un "nombre de visiteurs" preuve de la qualité des contenus
  • Avec cette grandeur, les dirigeants des musées sont des "conservateurs" (leur titre), ils s’occupent peu du public, et ne sont d’ailleurs pas nommés et jugés sur cela par leurs tutelles : aucun conservateur n’a jamais été mis de côté parce qu’il ne portait pas plus d’attention aux publics
  • Avec cette grandeur, la notion même de mécénat du grand public n’est pas un sujet pour les dirigeants - au mieux il est sous-traité à un service d’une de leurs sous-directions
  • Avec cette grandeur, l’argent est un peu sale et il doit venir de l’Etat - dont on ne comprend pas qu’il baisse ses dotations
  •  Avec cette grandeur, le public a le droit de financer, mais on ne lui donnera aucune contrepartie, aucune reconnaissance (cadeaux, événements privés, informations ciblées, animation de cette communauté) et personne ne s’étonnera de ses infidélités
  •  Avec cette grandeur, le musée ne peut même pas comprendre les leviers à activer pour mobiliser des financements du grand public
  • Avec cette grandeur, on se contente de peu, quelques milliers d’euros levés sur un projet de plusieurs millions
  • Avec cette grandeur, le musée aurait peur que le public revendique un pouvoir lié à l’argent qu’il verse (ce que les musées reprochent déjà aux grands mécènes privés).


Et alors, tout est-il perdu ?
Je suis optimiste, il y a des solutions.

La plus pérenne est clairement de gérer professionnellement un nécessaire changement de Monde dont je rappelle que c’est la spécialité de P-VAL.
Un point de départ facile serait que ces institutions culturelles acceptent de sous-traiter une partie de leurs activités de fidélisation et de levée de fonds auprès du public - le crowdfunding -  et elles ont à leur disposition de nouveaux acteurs très professionnels sur ce sujet.
Mais attention, sous-traiter une solution doit accompagner un projet de transformation dans la durée et ne pas s’y substituer.

Bruno Jourdan

mercredi 23 octobre 2013

Alain Le Vern a quitté ses fonctions de président du Conseil régional et de sénateur pour entrer à la SNCF. Quels enseignements Monde ?



Alain Le Vern est un poids lourd politique, il devient DG Régions et Intercités avec la mission de « construire avec les élus une nouvelle génération de services TER et réinventer la relation avec les autorités organisatrices régionales ».
Pour mémoire, cette relation est aujourd'hui très tendue. La SNCF cherche à faire payer aux collectivités ses services de transport régionaux sur le registre « voilà ce que je peux faire pour vos administrés, si vous en voulez il faut payer ». Cinq milliards par an. Tout en acceptant ce principe, les collectivités ont beaucoup de sujets de mécontentement : elles réclament un droit de regard sur ce qu’elles financent, elles refusent de payer le surcoût de la réforme des régimes spéciaux de retraite que la SNCF leur facture, elles veulent reprendre la main sur les achats et la maintenance des TER, elles contestent les frais de siège, etc …

Cette nomination est une bonne occasion de réfléchir sur les solutions que se donnent les entreprises pour mieux se synchroniser avec leurs clients. 
La SNCF a choisi de nommer quelqu'un qui vient « du client ». Que penser de cette solution ?

En première analyse, elle est très intelligente.
Alain Le Vern connaît parfaitement les enjeux des élus, leurs attentes, les solutions qu’ils sont prêts à accepter, les scénarios alternatifs qu’ils envisagent, leurs marges de négociation. Il va pouvoir faire partager cette connaissance à son entreprise, pour qu’elle trouve des solutions que les élus acceptent de financer.
Dans le langage des Mondes, le nouveau DG va être la passerelle entre le Monde des clients collectivités et le Monde de la SNCF.

En deuxième analyse, il faut se poser la question de savoir s’il suffit de nommer quelqu’un qui vient du client pour resynchroniser une entreprise avec ses clients.
Oui… si les deux Mondes étaient déjà très synchronisés. Le nouveau DG est une passerelle de plus dans un dispositif qui fonctionne déjà. Cela ne semble pas être le cas.
Non… si le Monde de la SNCF est structurellement trop éloigné de celui des clients collectivités pour que cette seule nomination résolve la désynchronisation profonde entre les deux Mondes. Dans ce cas, Alain le Vern va se faire « manger » par le Monde SNCF qui sera toujours plus fort que la petite passerelle qu’il représente. Au mieux il se fera satelliser dans un rôle de négociateur de haut niveau, au pire il se fera éjecter.   

Je ne connais pas assez la SNCF pour savoir si ses problèmes avec les collectivités sont expliqués par des Mondes trop éloignés, mais voilà le conseil que P-VAL pourrait donner à Alain Le Vern, qui prendra ses fonctions le 1er décembre prochain : 

Faites le diagnostic de l’écart entre le Monde SNCF et le Monde des élus pour comprendre pourquoi la synchronisation ne marche pas bien aujourd'hui. 
Que va-t-il comprendre ? Par exemple que les collectivités ont toujours la vision d’une SNCF Service Public, tandis que la SNCF ne se voit plus du tout dans ce rôle, que sa grandeur est de continuer à tout gérer et qu’elle n’est pas prête du tout à lâcher des prérogatives à des collectivités qui veulent les reprendre. 
Avec ces écarts de Monde, trouver des solutions qui conviennent aux clients élus va être difficile. Le rôle du nouveau DG sera alors non pas seulement de servir de passerelle entre deux Mondes éloignés, mais d’être le leader capable de créer un nouveau Monde SNCF, synchronisable durablement avec les collectivités.

We can help.

Bruno Jourdan

vendredi 11 octobre 2013

Banque, Agence et Client : comment les réaligner dans un Monde commun, créateur de performance ?

Toutes les banques de détail se posent des questions à fort enjeu sur leur réseau d'agences. Voici quelques chiffres et éléments d'analyse pour illustrer ce que l'angle d'approche Monde peut apporter à la réflexion. 

Wincor Nixdorf, en partenariat avec l'IFOP, a réalisé un baromètre sur les habitudes et les attentes des Français vis-à-vis du secteur bancaire, dans le but de mesurer le décalage entre leurs besoins et les réponses qu'y apportent les agences.

Il en ressort que seuls 9% des Français effectuent des comparatifs de produits et de services entre les banques avant de retenir celle qui leur conviendra le mieux. 
  • Pour 29% d’entre eux, leur banque actuelle est celle où ils ont ouvert leur premier compte ; pour 26%, il s’agit de celle de leurs parents ou de leur conjoint.
  • Les Français sont fidèles : 52% ont plus de 20 ans d’ancienneté dans leur banque. Pour 35%, le conseiller financier est la deuxième personne la mieux placée pour gérer leur argent après eux-mêmes (82%) - Vous pensiez à qui d'autre ? à votre boulanger ?
  • 37% des Français n’ont aucun reproche à faire à leur banque sur la gestion de la relation client - Donc 63% auraient un reproche ?

La moralité de cela est une exception remarquable à tous les business retails. Le Client et la Banque ont construit un Monde commun domestique-industriel.
  • Le client est dans une relation domestique avec sa banque, sans doute issue d'un héritage historique :  l'argent est un sujet dont on parle peu et seulement dans un cadre très policé, avec une relation presque Enfant - Parent dans laquelle personne ne veut se fâcher avec l'autre. Ainsi, le conseiller bancaire a joué jusqu'à présent un rôle fort d'amortisseur en régulant les contraintes et en donnant souvent raison au client : cartes bancaires non facturées ou à 50%, frais de dossier donnés,... "Ne nous fâchons pas"
  • Les banques de leur côté ont mis l'accent sur l'industrialisation de leurs processus "à fond". Cela au détriment de l'innovation, de l'image et de la relation marchande avec le client. Résultat, toutes les banques ont les mêmes offres, avec très peu d'innovation dans la relation client, même si cela commence à changer. Pourquoi changer de banque si celle d'à côté est exactement pareille, avec un niveau de concurrence frontal très faible (comparé aux Telecoms par exemple) ?


Ce Monde domestique-industriel est en train de voler en éclats. 

Certes pas très vite au regard d'autres marchés, mais avec une ampleur suffisante pour constituer un facteur majeur de déstabilisation pour la banque qui sera plus lente que les autres à s'adapter au nouveau Monde Client.

Toujours selon l'étude Wincor, 65% des français estiment que l’agence bancaire va évoluer :
  • 26% envisagent sa disparition au profit de la banque en ligne - Les clients seraient-ils parfois plus lucides que les Banquiers eux-mêmes ?
  • 20% imaginent une agence bancaire spécialisée pour certaines catégories de la population
  • 19% pensent qu’elle va devenir un lieu dédié à la présentation et à l’information sur les produits bancaires.


L'agence bancaire va faire beaucoup plus qu'évoluer !


Les mesures d'ajustement en cours sont davantage des mesures défensives illustrant l'ancien Monde pour en retarder les évolutions que des percées "nouveau Monde".

Vous me direz que je suis provocateur ? Oui sans doute, mais je vais prendre un exemple récent. Le Figaro Economie du 9 octobre (mon anniversaire pour ceux que cela peut intéresser) publie en page 30 deux articles côte à côte.
  • Le premier article prédit que les agences ont vocation à devenir des lieux "cosy" dans lesquels nous viendrons nous connecter pour connaître et acheter des produits, avec à nos côtés notre conseiller adoré...
  • Le second prévoit que le client qui aura souscrit à un produit à distance via sa tablette, assis dans son canapé aussi cosy que celui de l'agence (mais avec un verre de whisky et en compagnie de sa moitié adorée, pour de vrai ce coup-ci), ne voudra plus se déplacer à l'agence pour signer le contrat papier, préférant le signer depuis sa tablette
  • Le premier article relaie la vision des Directions de l'Immobilier et des Directions Réseaux, qui ont besoin de "justifier" leur Monde historique - la Grandeur par l'Agence. C'est une réponse qui s'inscrit dans leur Monde, mais pas dans celui de leurs clients qui eux sont déjà dans un Monde nouveau, numérique
  • Le second présente le Monde du client qui questionne l'utilité d'une rencontre à l'agence, sauf pour discuter d'un projet spécifique. 

Rassurez-vous, j'ai beaucoup de respect pour les conseillers et crois que l'agence bancaire va rester un pilier de la conquête commerciale et de la transformation vers des offres à valeur ajoutée. 
Je vous invite à lire l'un des messages précédents : Comment réinventer l'Agence Bancaire ?

Laurent Dugas

jeudi 10 octobre 2013

Nouvelle menace pour les DSI : bientôt sous l’autorité des directeurs marketing ?

Un article du Monde informatique du 8 octobre 2013 est très alarmiste sur le positionnement des DSI :

« Le métier du CMO - Chief Marketing Officer - change. La publicité traditionnelle a été remplacée par les médias sociaux, le big data et le décisionnel. Ces outils sont justement ceux que les entreprises utiliseront pour atteindre leurs clients et pour leur offrir la meilleure expérience possible… Dans ce nouveau cadre, le DSI ne sera plus guère qu'un pôle technologique du département marketing, chargé de l’aider à sélectionner les meilleurs logiciels et plateformes d'automatisation marketing et de les intégrer avec d'autres systèmes d'entreprise… Le CMO devient donc le principal concurrent du DSI et demain peut-être son supérieur hiérarchique et budgétaire ».

Les CMO avides de pouvoir pourraient se réjouir.
Ils auraient tort.

Au-delà des enjeux de pouvoir, la question qu’ouvre cet article est celle du nécessaire changement de Monde des deux fonctions, pour leur propre réussite et pour celle de leur inéluctable collaboration.

Oui, les DSI sont sans doute en retard d’un changement de Monde pour se synchroniser avec les marketeurs. L’article note d’ailleurs très justement un problème initial : « le code vestimentaire des personnels est différent ». Pour être plus direct, l’informaticien à chaussettes blanches n’est tout simplement pas crédible aux yeux du marketeur branché. Le marketing va alors se recréer sa propre direction technologique. C’est d’ailleurs déjà le cas : les chiffres compilés par le cabinet IDC montrent qu'environ deux tiers des dépenses technologiques des départements marketing sont déjà payés sur le budget marketing et non sur celui de l'IT.

Mais le changement de Monde que va devoir réussir le marketing est sans doute plus compliqué que de changer de chaussettes. Nouveau job, nouveau Monde : celui du marketing technologique.


La preuve de la réussite de ce double changement sera peut-être la modification du titre des deux fonctions.
Le DSI sera devenu « vice-président technologie data ou VP content », le CMO sera quant à lui devenu « vice-président médias sociaux, VP Social Media, ou vice-président expérience client ».


Une autre concrétisation de ce changement sera peut-être de faire comme Motorola Solutions : DSI et CMO sont devenus la même personne.
                                                                 
Bruno Jourdan